L’homme vêtu d’une tunique sale
et décousue se lève pour se signaler, et prendre la parole parmi la multitude
assise. D’un geste de la main, il balaye les cheveux longs et reluisants qui
lui obstruent le regard, et émet un son guttural pour éclaircir sa voix. Il
lève les yeux vers le ciel intense, bleu et brûlant, puis le posent sur le
locuteur qui domine l’assemblée attentive.
‒ Rabbi, dit-il, est-tu vraiment celui qui est homme fait de la chair de
l’Éternel, et dont les pouvoirs impossibles rendent la vie éternelle possible à
quiconque crois en toi ?
‒ Mon frère, toi dont les yeux font douter l’esprit, et vous tous qui
écoutez assis les paroles, entendez ce que je vous dis. Vous qui êtes nés, êtes
condamnés deux fois : à vivre, puisque vous êtes nés, à mourir car vous êtes
vivant. Il en est ainsi car le Père qui trône depuis les cieux l’a dicté le
jour de la création. Mais qu’y-a-t-il au monde de plus miséricordieux que
l’amour d’un père pour ses enfants ? Croyez-vous qu’il existe quoi que ce
soit qu’il ne puisse, Lui qui a fait toute chose ? Pour vous préserver du
froid, Il a créé le soleil, pour rassasier vos estomacs il a vous donné les
figuiers. C’est pour racheter vos pêchés du tourment de l’enfer, et sauver vos
vies du chaos de la mort éternelle qu’Il m’a envoyé. Vous mourrez, mais mangez
ma chair, buvez mon sang et vous vivrez. Une armée d’anges vous ouvriront les
portes du royaume de la résurrection et de la vie éternelle.
‒Rabbi Jésus, questionne l’homme encore, tu sauves de la mort, mais qui
sauves-tu ? Rachètes-tu les fautes du Juif comme celles du Gentil ? Ouvres-tu
les portes de ton paradis aux non-circoncis ?
‒La tanière est la demeure des chiens, le temple celle des prêtres choisis
de l’Éternel. Vous autres, enfants d’Israël, avez été élus parmi les nations
depuis le jour ou le Père s’est allié à Abraham pour faire de sa descendance son
peuple, un peuple de prêtres pour l’éternité. Les portes du royaume de Dieu
s’ouvrent devant ceux qui le craignent, ceux qui portent le signe d’Abraham.
Mais je vous l’annonce, aussi soyez
mes témoins : un autre viendra après moi. Le ventre et le sein d’une fille
d’Israël lui donneront le jour et le lait en la terre connue comme Tarsus. Il
sera circoncis le huitième jour, mais se fera le serviteur de Satan. Mon père créera
les mots les plus cruels et effroyables pour décrire son ingrate créature. Une
fois qu’il aura atteint l’âge d’homme, il proférera de démoniaques prophéties,
travesti en vrai prophète devant les multitudes. Les enseignements de cet
apôtre de la fourberie feront mentir les saintes écritures. Il n’y aura de chemin
que ses pas ne dispenseront de fouler pour propager sa parole. Ce faux apôtre séduira
plus de cœurs et d’âmes qu’on ne pourra en compter. Il prendra pour apôtres d’impurs
créatures coupables idolâtrie, qui feront de lui leur prophète. Ces hordes de
poussière d’homme se rueront vers lui comme des malheureux qui, assoiffés par la
chaleur du désert, courent vers un mirage en croyant trouver une oasis et espérer
y boire de l’eau fraîche. Le pêché dont il se rendra coupable, et qui perdurera
pendant les siècles à venir, sera plus infâme, plus odieux encore que le
meurtre de Moise et d’Abraham. Cette créature que je vous annonce se retournera
contre son créateur, pour se faire Dieu à la place de notre Seigneur. Il blasphèmera
la sainte l’alliance entre l’Éternelle et son peuple Israël, pour la porter aux
pieds des goyim et conclure une alliance avec eux, comme le pain qui tombe de
la table est souillé par le museau des chiens galeux. Les promesses du prophète
usurpateur profaneront les portes du royaume de mon père, pour y laisser pénétrer
les multitudes de Gentils, engeance de vipère, en mon nom.